Dans le cadre de la 16ème édition du Festival Musiques interdites, Das Lied von der Erde est donné en version originale allemande, en présence de Marina Mahler, petite-fille de Gustav et Alma Mahler.

Pour l’occasion, c’est Clelia Cafiero qui est placée au pupitre, elle qui a été cheffe assistante à Marseille pendant les deux saisons passées, et qui retrouve avec joie ses anciens collègues. L’orchestre se montre à la hauteur des splendeurs musicales contenues dans la géniale partition de Mahler, faisant preuve d’une attention soutenue, de cohésion d’ensemble et de précision rythmique. Suivant les six numéros de cette « symphonie pour ténor, alto et grand orchestre », la phalange sait se montrer légère, voir guillerette dans les passages aux accents orientaux, la pièce ayant été composée d’après La Flûte chinoise de Hans Bethge. Mais la cheffe parvient également à donner une ampleur certaine, un grand souffle, aux séquences les plus pesantes.

Les deux solistes ténor et contralto alternent au cours des numéros, Christophe Berry ayant la primeur des interventions dans le premier Lied « La Chanson à boire de la douleur de la Terre ». Les aigus projettent vigoureusement, mais on détecte d’emblée un manque de fermeté dans le médium. Les problèmes deviennent de plus en plus évidents dans les Lieder suivants « De la jeunesse » et « L’Ivrogne au printemps », où le ténor continue de délivrer de vaillants aigus, parmi des notes bien plus approximatives.

La contralto Qiulin Zhang montre des ressources davantage robustes aux cours de ses deux premiers Lieder, une profondeur de timbre impressionnante et un registre aigu qui s’épanouit aussi sereinement. On sait l’importance du dernier Lied « L’Adieu », d’une durée à lui seul sensiblement égale à celle de l’ensemble des cinq précédents. La qualité de l’interprétation prend encore davantage d’importance dans ces sombres ambiances qui rappellent immanquablement les Kindertotenlieder. La musique confère au sublime à plusieurs moments et la contralto fait passer une émotion qui culmine à la conclusion, où le mot « ewig » (éternellement) est répété sept fois.

Le concert est agrémenté de projections vidéo en fond de plateau réalisées par Naomie Kremer. Il s’agit plutôt de tableaux plus ou moins figuratifs, qui s’animent au cours des numéros. Ce sont ainsi successivement un paysage d’arbres, des herbes sur l’eau ou encore des feuillages qui commencent à bouger, se déformer, parfois en des images tirant vers un kaléidoscope psychédélique. L’illustration de L’Adieu est plus abstraite, en présentant des formes qui se tordent, un peu comme dans certains tableaux d’Edvard Munch, bien en lien avec la suprême mélancolie du morceau.

La version choisie par un orchestre quelque peu réduit, était à mi-chemin entre ce qu’écrivit Mahler pour grande formation et la version de chambre jadis proposée par Arnold Schönberg. C’est au chef d’orchestre et compositeur Glen Cortese que l’on doit cet arrangement. Il se murmure que Gustav Mahler, qui mourut avant d’avoir pu diriger son œuvre, ce que fit Bruno Walter, aurait voulu que l’on se souvînt de cette sorte de long poème élégiaque. Nul souci, cher grand maître, on se rappellera de tout, des accords inauguraux de la première symphonie, jusqu’aux dernières mesures de ce Lied von der Erde.

Marina, Mahler, la petite fille du compositeur qui avait reçu quelques heures plus tôt la médaille de Marseille dans les salons de l’opéra (nous en avons rendu compte) a salué un public hélas clairsemé, mais cependant enthousiaste, avec une cheffe d’orchestre, Clelia Cafiero au mieux de sa forme, de même que l’orchestre. Si cette immense artiste n’est plus formellement en poste à Marseille, ce que nous regrettons, elle nous est revenue et reviendra encore.

Ce concert, coproduit par l’opéra était donné dans le cadre du festival musiques interdites et l’on peut dire que cette partition que les monstres avaient dite dégénérée nous aura régénérés.

La soirée a bénéficié en outre du travail du peintre vidéaste Naomie Kremer, une américaine d’origine israélienne qui nous a offert, en rideau derrière l’orchestre, une prestation qui avait l’avantage d’être ni redondante par rapport au texte, ni totalement abstraite, et qui aura contribué à créer cette ambiance propre aux dernières œuvres de Mahler.

François Jestin, Classique en Provence