Encore un concert arraché au virus ! La contralto Qiulin Zhang et le ténor Christophe Berry ont fait honneur, le premier décembre à l’opéra de Marseille, pour l’unique soirée consacrée à cette œuvre inspirée de poèmes chinois écrite en 1908 et créée en 1911. Nulle tentation pentatonique à la Puccini pour ce grand symphoniste, mais un registre délicatement maniaco-dépressif qui culmine dans le dernier des six tableaux, l’Abschied, l’adieu, et s’achève par une longue série de Ewig (éternellement). Alternant leurs prestations, la contralto et le ténor ont semblé au mieux de leur forme, la première avec sa voix chaude et prenante, le second avec des éclats de Helden tenor wagnérien.
La version choisie par un orchestre quelque peu réduit, était à mi-chemin entre ce qu’écrivit Mahler pour grande formation et la version de chambre jadis proposée par Arnold Schönberg. C’est au chef d’orchestre et compositeur Glen Cortese que l’on doit cet arrangement. Il se murmure que Gustav Mahler, qui mourut avant d’avoir pu diriger son œuvre, ce que fit Bruno Walter, aurait voulu que l’on se souvînt de cette sorte de long poème élégiaque. Nul souci, cher grand maître, on se rappellera de tout, des accords inauguraux de la première symphonie, jusqu’aux dernières mesures de ce Lied von der Erde.
Marina, Mahler, la petite fille du compositeur qui avait reçu quelques heures plus tôt la médaille de Marseille dans les salons de l’opéra (nous en avons rendu compte) a salué un public hélas clairsemé, mais cependant enthousiaste, avec une cheffe d’orchestre, Clelia Cafiero au mieux de sa forme, de même que l’orchestre. Si cette immense artiste n’est plus formellement en poste à Marseille, ce que nous regrettons, elle nous est revenue et reviendra encore.
Ce concert, coproduit par l’opéra était donné dans le cadre du festival musiques interdites et l’on peut dire que cette partition que les monstres avaient dite dégénérée nous aura régénérés.
La soirée a bénéficié en outre du travail du peintre vidéaste Naomie Kremer, une américaine d’origine israélienne qui nous a offert, en rideau derrière l’orchestre, une prestation qui avait l’avantage d’être ni redondante par rapport au texte, ni totalement abstraite, et qui aura contribué à créer cette ambiance propre aux dernières œuvres de Mahler.
Jean-Pierre Bacot, Lyrica Massilia